Le pignon fixe : Influences, disciplines actuelles et typologie des pratiquants
Depuis quelques années, le mouvement « fixie » refait surface en France. La pratique du vélo à pignon fixe s’est profondément rajeunit passant d’une activité de vieux routard à une top tendance supra hype. La particularité de ces vélos repose en l’absence de roue libre, ce qui oblige le cycliste à pédaler en permanence. Si vous avez vu des vélos étranges, flashy, avec jantes à bâtons et cintre de 10 cm dernièrement, il s’agissait probablement de cette catégorie de cyclistes. Ceux-ci ne constituent qu’une minorité de fixés, les autres étant sur ebay à la recherche de la pièce rare.
En introduisant par une brève rétrospective sur l’origine et les influences du fixie contemporain, l’objet de cet article sera d’identifier les différentes formes de pratiques et plus particulièrement leurs pratiquants.
1. Retour aux sources
- Le vélocipède (1818-1880)
Pour faire bref sur l’invention du vélo, c’est l’histoire de trois mecs : Le Baron Von Drais, Ernest Michaux et Jules Truffault. Von Drais tombe de sa draisienne, Michaux trouve la solution et invente les pédales, qui reste t-il ? D’évolutions en évolution, on arrive doucement à quelque chose qui ressemble à une bicyclette. Vous trouverez un historique plus détaillé de la bicyclette ici : http://www.histoire-mega-top-à-raconter-à-ces-enfants-pour-les-faire-grandir.fr
- La bicyclette contemporaine et le développement du cyclisme sur piste (Depuis 1880)
De 1880 à 1900, le cyclisme devient très populaire en Europe et aux États-Unis. Les bicyclettes ressemblent alors un peu plus à ce qu’on utilise aujourd’hui. En 1896, le cyclisme sur piste fait parti des neuf sports qui ont inauguré les premiers Jeux Olympiques à Athènes. Les pistards seront donc les premiers à populariser le pignon fixe : D’abord pour un gain de poids et d’efficacité (absence de freins, de dérailleurs, de manettes, de cassette et obligation constante de pédaler), mais aussi pour être totalement maitre de leur cadence. De plus, sur piste, tout les coureurs allant dans la même direction, les freins sont accessoires (la plupart des vélodromes interdisent désormais les freins par mesure de sécurité : freiner c’est tricher!).
Au delà de la piste, les routards ont également longtemps adopté le pignon fixe lors de leur trêve hivernale. Même si cette pratique tend à être remplacée par des jeux de hamsters (rouleau / vélo d’appartement / home-trainer…), certain irréductibles préfèrent « arrondir leur pédalage » au pignon fixe.
- La légende des coursiers New-Yorkais (1980)
Lorsque l’on parle de pignon fixe, les coursiers de New-York sont très souvent cités, si souvent cités que l’on ne sait plus quelles histoires écouter… Ces early adopters sont les premiers à populariser la pratique du fixie. Mais pourquoi ?
« Ouais, les pignons fixe, en fait, tu vois […] bin, c’est les coursiers New-Yorkais qui en avaient marre de se faire chouraver leurs composants, alors ils ont tout enlevé et ils ont monté des fixes… »
« Alors tu vois à New York, l’hiver il fait froid, donc les coursiers ont enlevé tout le système de vitesse, parce que sinon ça gèle…»
« Saloperie d’huile au téflon, j’fais que dérailler, et j’me pourris les mains, c’est pas cool du tout, d’autant plus que les lettres que je distribue sont blanches… »
« Dépouillé de ses vitesses et de ses freins, le vélo devient plus léger »
Toutes ces anecdotes sont envisageables, mais l’explication sociologique reste celle qui tient le plus la route. Selon Maslow, nos besoins sont hiérarchisés en une pyramide de cinq niveaux. On retrouve au troisième niveau un besoin d’appartenance qui correspond à la nécessité de se sentir intégré à un groupe social. Il peut être satisfait par un processus d’adhésion (association, activité professionnelle, activité sportive..) ou par des symboles d’appartenance (maillot de son équipe de foot favorite, marque de fringue). Les messagers n’étant ni des routards, ni des cyclistes occasionnels, le pignon fixe s’est imposé comme symbole d’une nouvelle culture cycliste. Les messagers n’ont donc pas vraiment inventé le pignon fixe, mais ont fortement œuvré à sa renaissance.
Ces coursiers ont posé le contexte : Le fixie, c’est aller plus vite que les voitures, un freeride où code de la route et feux sont simples décors. Voyez dans la vidéo ci-dessous leur capacité à se faufiler entre les voitures
2. Les pratiques actuelles
Aujourd’hui, on retrouve des vélos à pignon fixe dans de nombreuses disciplines du cyclisme. La piste, mère fondatrice du fixie reste évidemment toujours d’actualité, mais l’on retrouve également des disciplines plus confidentielles comme le cyclisme artistique, le polo-vélo, le street, le radball et plus récemment le « t’as vu mon fixe comment il beau ».
- Le cyclisme sur piste regroupe plusieurs disciplines de sprint ou d’endurance et se déroule sur un vélodrome (plus de détails ici)
- Le cyclisme artistique est une sorte de kamasutra du vélo. La discipline consiste à effectuer des positions au delà de l’antigravitationnelle tout en gardant l’équilibre sur sa monture. Illustration en vidéo.
- Le polo vélo, pour faire simple est une variante du polo à cheval. Par équipe de 3, 4 ou 5, l’objectif est d’amener la balle dans les buts adverses à l’aide d’un maillet. Initialement, cette discipline se jouait sur gazon, avec des vélos adaptés et un règlement très strict (Fédération Française de Cyclisme oblige). Pour cette raison, une pratique transversale s’est développée : le polo-vélo urbain. Plus flexible, l’activité a pour seul règlement le fair-play et la démerde // Maillet maison à base de bâtons de skis et autres trouvailles de chantiers, roues pleines à base d’affiches électorales recyclées, le polo-vélo est écolo !
- Le Radball ou cycle-ball est une sorte de football mais se pratique sur le vélo par équipe de deux. Tout comme au foot, seul le gardien peut toucher la balle avec les mains, les contrôles se font soit avec le vélo, soit avec la tête. Un championnat du monde est organisé chaque année par l’UCI. Illustration en vidéo.
- Le street en fixie est un savant mélange de flat, de park, de trial et de cyclisme artistique. La discipline a pour vocation à être pratiquée dans la rue et consiste en la réalisation de figures en utilisant le mobilier urbain. Pas de règles, pas de contraintes, l’art du street est de pouvoir réaliser sa propre « ligne » et enchainer le tout avec style.
- Le «t’as vu mon fixe comment il est beau», est probablement la discipline la plus difficile… Elle consiste à se balader dans les rues hautement fréquentées, en parlant très fort tout en utilisant des termes techniques « Ouais, j’ai tenté un no hands hier, j’ai tenu au moins 4 secondes » ou « Depuis quelques jours je roule en sonette-less, j’espère que je vais pas me faire contrôler par les flics».
3. Typologie des pratiquants
L’originalité du pignon fixe repose aussi et surtout dans l’hétérogénéité de ses pratiquants : jeunes/ vieux, compétition/loisir, streetstyle/fédération, tout est bon dans le cochon. Cette typologie ne se base évidemment sur aucun chiffres et n’a aucune valeur scientifique. Si vous êtes fixés, vous vous retrouverez surement un peu dans chacune des catégories, celles-ci étant de grosses caricatures de ma vision des choses.
– Le « punk » pourrait être coursier à New-York. Il s’est fracturé trois fois le tibia, n’a plus de dents, s’est fait posé deux prothèses de hanches et a perdu toute sensibilité à la main gauche. Sa vision de la vie : « Life needs no brakes ». Les klaxons le convoite, mais qu’importe la route lui appartient. Pour l’anecdote, c’est lui qui a inventé le cintre de 10 cm, pour justement passer plus facilement entre les voitures.
– Le « vintage addict ». Amoureux des pièces, il passe ses soirées sur leboncoin, ebay et autres sites d’annonces de particuliers à la recherche de la pièce rare…
« Chéri tu viens te coucher ? »
« Attends m’amour, je suis un coup là, j’ai une selle brooks en cuir de 1960, pour seulement 150€, si j’me débrouille bien, le mec m’offre même la housse silicone qui va dessus pour pas qu’elle déteigne sur mon froc »
– Le « hipster » / « yuppie » est probablement celui qu’on voit le plus. D’abord parce que son vélo brille de milles lumières… Vert, rouge, bleu, jaune, rose, un maillot arc-en-ciel à lui tout seul, un champion du monde ? Dans le style oui. Le hipster porte des chemises à carreaux, des Ray-Ban Wayfarer et parfois des moustaches à la Dalton ou à la pornstar des années 70… chacun ses références. En terme de motivation à pratiquer, c’est beaucoup de paraître au détriment de la pratique. S’il a le budget, il préfèrera par exemple acheter des roues « chewing-gum » mais jolies genre « Aerospoke » (cliché !) que des vraies roues rigides de routards. Ha j’oubliais, il est hors de question pour le yuppie de rouler avec un ancien vélo route converti en fixie, il lui faut un cadre avec l’étiquette « fixed gear », comprenez, on voit les butées de gaines sur les conversions… c’est pas beau.
– Les « bricoleurs ». Freak out! Le fixe c’est cheap. Pour le coup, c’est l’inverse du hipster… Ces gens là ont récupéré un cadre à la cave, une chaine par-ci, un pédalier par là et ont construit leur propre machine à base de Popopopopo. Ses principales motivations sont la pratique et l’aspect communautaire du mouvement. Il aime retrouver sa petite famille de fixés, boire des bières et occasionnellement faire un petit peu de vélo.
– Les « vieux aussi vieux que leur vélo » portent plutôt bien leur nom. Lorsque Gérard est né, la roue libre n’existait pas (1897), alors il est resté fidèle… Merci Gérard, paix à ton vélo.
– Les « routards/pistards convertis » et les «skateurs curieux» sont notre dernière catégorie de fixés. Ils sont plutôt bon dans ce qu’ils entreprennent, et à force d’acharnements et de volonté progressent rapidement dans la discipline.
Pour conclure, le fixie est aujourd’hui un bel exemple de ce qu’est le sport pour tous… Tout comme la pratique, son accessibilité ne se heurte à aucuns freins (économiques ou techniques). Avec du temps et un peu de patience, on peut monter son propre fixie pour moins de 100 euros. Techniquement, la discipline est plutôt open : quiconque sait pédaler sans roulettes peut rouler en fixie (sans parler des pratiques spécifiques vues précédemment). Seul hic, mais qui n’est que mon point de vue : Je redoute que le mouvement fixie ne soit finalement qu’un effet de mode qui a permit à quelques skateurs incompétents du ollie et aux mauvais graffeurs d’intégrer la subculture street & sneakers pour légitimiser le port de leur nouvelles Vans Authentics. Les tendances se développent très vite, mais meurent également très vite : Lorsqu’une tendance devient grand public et que tout le monde se l’approprie, elle perd sur l’échelle de COOLitude et disparait. Qu’en est-il du fixie, simple tendance ou véritable forme de pratique?
Marrant…
Vu sur http://www.fluctuat.net/6896-Le-velo-a-pignon-fixe
Je cite:
« Les mecs qui font du vélo de route nous regardent comme des fous, comme des hérétiques du vélos. Alors, forcément, ça plaît. Être regardé en biais par des vieux cons a toujours un côté amusant. »
Ne pas oublier que ces « vieux cons » sont à l’origine de leur discipline. Cracheraient-ils sur leurs parents? Faire du vélo, c’est pas juste déambuler dans les rues parisiennes jeune bobo, c’est avant tout un sport.
Bonjour,
Etant pratiquant assidus et quotidien, je vous félicite pour cet article. Le premier que je lis sur notre communauté qui ne soit pas un ramassis de préjugés. On retrouve le décalage et les blagues de la communauté et j’imagine que vous avez du passez quelques temps sur notre forum adoré.
J’ai ri en le lisant ce matin et ma semaine n’en commence que mieux. Merci d’être passé outre les clichés que nous servent les articles habituellement.
Très bon article, un des seul valables sur la culture du pignon fixe…
– Les « vieux aussi vieux que leur vélo » portent plutôt bien leur nom. Lorsque Gérard est né, la roue libre n’existait pas (1897), alors il est resté fidèle… Merci Gérard, paix à ton vélo.
Merci pour eux ;-)))
Un Gérard
« Ha j’oubliais, il est hors de question pour le yuppie de rouler avec un ancien vélo route converti en fixie, il lui faut un cadre avec l’étiquette « fixed gear », comprenez, on voit les butées de gaines sur les conversions… c’est pas beau. »
Et la meuleuse avant repeinture, c’est pas hype, peut-être ?
Bonne année à tous les fixés
Je suis fixé depuis un moment et c’est vrai qu’il y a un gros phénomène de mode autour de ça, c’est drôle de voir des gars qui savent à peine faire du vélo acheter un fixie…
Je crois qu’il y a une grosse part de prise de conscience écologique dans cette « mode ».
En tout cas j’ai bien aimé ton article, on voit que tu connais le milieu… Je me trompe?
Bonjour,Bonjour,
J’aurais bien voulu savoir quelle était la musique en fond du film…..
Merci d’avance
Christophe
Bonjour Christophe, la musique est des White Stripes : « I’m Bound to Pack it up » de l’album Aluminium.
Mathieu
Très bon article.
Même si je reconnais qu’il y a de très beau fixie tout neuf, moi je ne changerai mon « vieux vélo route converti en fixie » (avec même quelque trace de rouille lol) pour aucun autre vélo.
Très bon article ! Merci pour toutes ces infos
Article pas tout jeune, mais qui pour moi représente exactement ce qu’est le fixie.
Maintenant sur le débat: est-ce une mode ou non? Je pense que le fixie est un peu comme le skate, il va connaitre une petite baisse lorsque qu’il deviendra plus « grand public ». Tous les yuppie se désinteresserons (pas plus mal!), et seuls les vrais passionnés (comme moi ^^) resterons.
Je pense que l’on peut dire que le fixie est encore à la mode, mais que d’ici 5 à 10 ans il deviendra un style de vélo à part entière au même rang que les VTC, VTT, Urbain, Vélo électrique, etc.
Cet article devrait être lu par tous les hipster!
tres bon article. le fixie, j’en fais depuis….50 ans. A l’époque on appelait cela un vélo à pignon fixe ou un vélo de piste.C’était pas à la mode, maintenant ca l’est redevenu. La mode, ca va, ca vient.
Desormais, je ne fais pratiquement plus que du pignon fixe, sauf dans les régions montagneuses. J’ai essayé, le problème ca n’est pas la montée, mais la descente.
J’viens de lire ton article, 13 ans après la rédaction, y’a pas tant de poussière dessus que ca, on voit toujours 3/4 pignons fixes par jour ici à Tours, faut juste bien chercher. Moi je roule tous les jours sur un vieux VTT bien pourri qu’il faut que je change et j’ai flashé sur un fixie, j’en ai essayé un hier, c’est magique comme vélo j’avais jms ressenti de pareilles sensations sur un vélo.